Hommage à Yehudi Menuhin, dix ans après sa disparition
28 mars 2009 0 Par yecaLe 12 mars 1999, Sir Yehudi Menuhin disparaissait à Berlin. 10 ans après, un hommage lui est rendu dans le monde entier.
Considérée comme l’œuvre indépassable consacrée à Yehudi Menuhin, voici des extraits du film Le Violon du Siècle. Le réalisateur, Bruno Monsaigeon, que les amateurs connaissent pour ses portraits de Glenn Gould, Nadia Boulanger, Fischer-Dieskau ou Sviatoslav Richter, était lui-même violoniste. Il a rencontré Menuhin en 1972 et lui a consacré pas moins de seize portraits, dont le dernier, Le Violon du Siècle, achevé en 1995, qui couronne une longue amitié.
Filmé chez lui, en Grèce, Yehudi Menuhin nous raconte sa vie. Feuilleter l’album de souvenirs de Yehudi Menuhin, c’est parcourir l’histoire musicale de tout un siècle. Les innombrables archives qui composent le film sont de vrais trésors : regarder ce film, c’est aussi voir Fürtwangler, Fricsay ou Karajan puisqu’il a été dirigé par les plus grands chefs, Rostropovitch, Fischer-Dieskau ou Gould puisqu’il a joué avec les plus grands musiciens. Un document exceptionnel.
Présentation du film consacré à Yehudi Menuhin – ‘Le violon du siècle’
Rencontre avec un homme remarquable
Au fond, il y a la mer des Cyclades, et au premier plan, devant la nudité d’une terrasse blanchie à la chaud, en ce petit matin d’été à Mykonos, la frêle silhouette sans age d’un yogi faisant ses exercices quotidiens. Presque en apesanteur. Voici le portrait tellement intime de Yehudi Menuhin en sage. Bruno Monsaingeon a intitulé son film, biographie en huit chapitres, ‘Le violon du siècle’, sorte de testament de près de 40 ans d’amitié entre le musicien et le cinéaste. Et seize films à leur actif. Ensemble ils sont allés sur la muraille de Chine, à Moscou et ‘Leningrad’ en un émouvant ‘Retour aux sources’ pour Yehudi Menuhin, l’enfant de juifs russes émigrés à New York où il est né en 1916.
Violon du siècle, assurément il l’est, tant il l’a marqué de son empreinte –et pas uniquement comme musicien- et tant il est celui qui a su inventer le mieux un langage contemporain pour le violon, avec David Oistrakh sans doute. Leur rencontre dans le ‘Double Concerto’ de Bach reste un moment d’anthologie : les deux versants de l’instrument miraculeusement réunis dans ce dialogue d’exception. Tout en étant un héritier de la grande tradition européenne, lui qui fût l’élève de Louis Persinger et de Georges Enesco, le concurrent de ses aînés Jascha Heifetz et Fritz Kreisler, il est ce passeur qui inspire les violonistes d’aujourd’hui comme Gidon Kremer ou Itzhak Perlman auquel il céda son Stradivarius ‘Soil’ en 1986 quand il considéra que sa main ne pouvait plus maîtriser la puissance de l’instrument. .
Violon du siècle, virtuose à 9 ans mais jamais un enfant prodige que l’on montre comme un phénomène de foire. Déjà maître de son art à l’entrée de l’adolescence. Pour preuve la phrase de Albert Einstein –son autre formule célèbre- qui après l’avoir entendu jouer le ‘Concerto’ de Bach avec la Philharmonie de Berlin en 1929, s’exclama : ‘Maintenant, je sais qu’il y a un dieu dans les cieux.’ Yehudi Menhuhin, n’avait que 13 ans. Le grand Bruno Walter qui dirigeait ce concert et pour lequel le violoniste a toujours gardé une immense tendresse ne lui avait-il pas quelques années auparavant écrit sur la dédicace d’une photo, ‘Au petit garçon doté d’une grande âme.’ Le maestro avait tout compris : et le musicien au talent si précoce et à l’homme à venir.
Menuhin est de ceux qui croient au plus profond d’eux-mêmes que l’art peut abolir le mal. Et pour lui, la preuve irréfutable, c’est la musique de Bach, Bach toujours et encore dont il avait déjà enregistré l’ensemble des ‘Sonates’ et ‘Partitas’ avec une impressionnante maturité, à 20 ans, alors que pour tant d’autres, c’est encore un infranchissable Everest à 40. Un utopiste, un fou ou un sage? Un sage engagé qui disait leur fait aux grands de ce monde, sans prendre de gants mais avec ce sourire désarmant. Ce pacifiste qui partit en tournée dans les camps de concentration et ceux de réfugiés avec le compositeur anglais Benjamin Britten en 1945 et qui la même année donnait le concert inaugural de l’ONU à New York. Ce juif qui s’opposa à la ‘dénazification’ hystérique en prenant fait et cause pour Wilhehlm Fürtwangler, une amitié qui trouva sa traduction artistique avec cet accomplissement commun autour du ‘Concerto’ de Beethoven. Ce juif qui, trente-cinq ans avant Daniel Barenboim, sans doute son fils spirituel en la matière, prônait l’ouverture envers les palestiniens. Ce non-violent, intime du Dalaï-Lama pris à partie par la droite ultra-nationaliste en Israël . Ce militant pour la liberté au service de laquelle il a si souvent mis son art et qui admonestait l’URSS à respecter les droits de l’homme et prenait la défense de Soljenistsyne et Rostropovitch alors que vénérer la Russie soviétique était encore une religion en 1970. Ou exhortait avec véhémence Margaret Thatcher à épargner Bobby Sands et les grévistes de la faim de l’IRA
Cet artiste, infatigable travailleur sous l’apparente facilité, -‘est ce qu’un oiseau se dit qu’il en a assez de voler’ disait-il- a sans cesse revisité pour en réinventer sa perception et son interprétation les œuvres qu’il tenaient pour majeures. Des recréations et jamais des redites. Ce maître –comme on parle de maître en matière d’artisanat- qui lutta avec sa propre virtuosité –il y a du tzigane dans tout violoniste russe- pour donner toute sa profondeur à la ‘Sonate pour violon seul’ que Bartok avait écrit tout exprès pour lui. Une œuvre majeure du 20ème siècle à laquelle peu de musiciens osent se mesurer et qui illustre si bien cette définition du violoniste selon Menuhin : ‘Le violoniste est quelque part entre le chanteur et l’instrumentiste. Le jeu du violon est tactile tant l’oreille ressent le son.’ Presque aussi intimement, presque que venu de l’intérieur comme le chanteur.